« La gestion facilitaire, aussi évolutive que les besoins, nécessite une autre vision »
Nulle part dans son titre de fonction ne figure le mot Facility. Pourtant, c’est bien de cela qu’est en charge depuis un gros quart de siècle notre homme de 58 ans, originaire de Ath et habitant à Silly. « C’est vrai que nous devrions nous appeler Service ou Division Facilitaire, mais changer la dénomination initiale nécessiterait de modifier des arrêtés ministériels… Alors, on reste comme ça, même s’il est question d’évoluer sur la question », sourit Olivier Labie à propos de cette spécificité du service public. Va pour « Division Logistique » ! D’autant que la logistique s’est imposée dans le parcours de notre homme dès son service militaire comme officier de réserve au 20ème bataillon Logistique niveau Transports et Matériel.
Une fois rendu à la vie civile, il entame sa carrière comme directeur de supermarché du groupe Aldi. « C’était en quelque sorte aussi de la logistique, mais commerciale», souligne-t-il. Après 4 ans, figurant dans une réserve de recrutement du secteur public, le service du personnel de la Région Wallonne lui ouvre ses portes. Il passera ensuite par le Ministère de l’Equipement et des Transports wallon avant d’accéder au niveau fédéral. Olivier Labie intègre le SPF Finances et son Administration générale des Douanes. Il s’occupera pendant 10 ans de la logistique de leurs bâtiments en Wallonie et à Bruxelles. A la création en 2010 d’un Service général d’encadrement logistique, sont créées trois divisions. Une par région. Il devient alors chef de la Division Logistique pour la Wallonie. En 2020, les trois divisions sont fusionnées en une seule, placée sous l’unique houlette de Olivier Labie.
Passer de 450 à 50 bâtiments !
A ce moment, le Chef de Division avait déjà à son actif une marquante réalisation relevant de l’exploit : « Une de mes fiertés, partagée avec les collègues flamands et bruxellois à l’époque, est d’avoir mené à bien la contraction de notre parc de bâtiments de 450 à 50 aujourd’hui. En particulier la phase opérée de 2016 à 2017 de 220 à 50. En deux ans, on a déménagé quasi 18 000 personnes ! Personne ne pensait cela faisable, se souvient le Directeur de la Division Logistique. Et là, on ne parlait pas encore de Dynamic Office. On était encore dans le modèle poste de travail fixe et individuel, etc. Cela comportait aussi un aspect changement d’endroit d’affectation pour le personnel. Un protocole permettait aux collaborateurs de changer d’administration au sein du SPF Finances s’ils voulaient rester dans une zone plus proche ou partir, via mobilité interne, dans une autre administration. Finalement, tout a bien fonctionné. »
Devenu en janvier 2020 chef de la Division Logistique nationale, Olivier Labie n’imagine pas que deux mois plus tard l’épidémie de Covid va déferler sur le monde et mettre le SPF Finances face à un nouveau défi majeur. « Du jour au lendemain, apprendre que les 20 000 personnes du SPF Finances doivent travailler à domicile et tout mettre en place en 24 heures, parce que la chaîne et l’action de notre administration ne peut pas s’arrêter, fut une épreuve extrême. Notre chance a été d’être déjà très bon niveau IT, se souvient le responsable. Tout le monde était disposait déjà d’un laptop. La crainte était qu’une fois tout le personnel en télétravail, le système s’effondre. Heureusement, cela ne s’est pas produit. Ensuite, on a dû adapter nos bâtiments au gré des décisions successives du Codeco. Circulation dans les couloirs, achat de matériels divers, signalétique, port du masque, etc. Il n’y avait rien sur le marché, ni signalétiques appropriées, ni gel hydroalcoolique en quantité, ni masques. Pendant deux ans, on s’est adapté et réinventé. On devait créer des choses, délivrer des attestations d’absence ou présence à nos 20 000 employés... » Olivier Labie retient cependant un point très positif de cette séquence : « Elle a servi de révélateur du dynamisme des troupes. Tout le monde s’est appliqué et impliqué à 100%. Mon personnel Facility était partout sur le terrain, au quotidien dans les bâtiments pour l’accueil, les fournitures, la technique, le suivi des contrats, le nettoyage, etc. Cela fut une période éprouvante, mais aussi valorisante. »
Implémentation du Dynamic office
L’après-Covid aura à son tour fixé de nouveaux défis au Chef de la Division Logistique et à son équipe forte de 360 personnes (en plus du personnel de nettoyage). Pour épouser les New Ways of Working (dont le télétravail stabilisé à minimum deux jours au bureau), le SPF Finances ne cesse de faire évoluer l’occupation de ses espaces et de doter ses 50 bâtiments d’un environnement Dynamic Office. Rien que sa tour bruxelloise North Galaxy de 27 étages qui nous accueille (flanquée d’une autre tour du même gabarit et d’une troisième de 5 étages), est actuellement en plein travaux de rénovation/réaménagement par bloc d’étages. Tout en veillant à ce que tout son personnel puisse continuer à y travailler mais aussi que se poursuive l’accueil d’un nouveau contingent de personnel venu de la Tour des Finances du Botanique. « On la vide complètement pour ramener tout le monde ici, y compris le personnel de la Trésorerie (de la rue du Commerce), et le personnel du Ruling (de la rue de la Loi). On passe de 4 500 à 7500 personnes sur notre site du Quartier Nord », évoque sans trembler Olivier Labie. « Avec le télétravail et le new ways of working, 7500 personnes, c’est viable ici. Ce transfert sera terminé en 2026. »
Ces derniers déplacements de personnels du SPF Finances ont été précédés d’une grosse phase d’implémentation du Dynamic Office dans la majorité des 50 bâtiments du SPF Finances sur la période 2023-2024. Une troisième réalisation dont Olivier Labie est particulièrement fier. « L’implémentation du Dynamic Office en deux ans dans quasi tous nos bâtiments (avec toutes les équipes continuant à bosser sur place), sans nécessairement bénéficier de budgets de rénovation, cela relève de l’exploit. Dans certains bâtiments, nous avons simplement réutilisé autrement le cloisonnement existant. Des bureaux individuels se sont mués en salles de réunion. Un bureau de quatre personnes est devenu petit paysager. D’autres bureaux ont été transformés en small meeting rooms, etc. Un travail énorme ! », estime l’expert en logistique facilitaire qui au sein d’un groupe de travail Finance Ways of Working avait aussi travaillé en amont avec le service RH P&O (Personnel et Organisation) pour que le Dynamic Office réponde aux besoins du personnel. Et après tant de travaux herculéens, notre pilier facilitaire du SPF Finances n’a-t-il jamais songé à changer de fonction ou rejoindre le privé ? « Deux raisons principales m’ont toujours retenu. La première est que, malgré toutes les contraintes propres au service public, j’ai toujours pu compter sur l’indéfectible soutien de mon comité de direction dans tous nos projets. Il a toujours mis à disposition les budgets nécessaires pour les faire. Sans ce soutien constant et sans faille du comité de direction, j’aurais peut-être envisagé de changer d’air. Mon travail est épanouissant et j’ai la chance de disposer d’une belle, nombreuse et compétente équipe de collaborateurs que j’associe aux décisions par un management participatif », juge Olivier Labie. Deuxième raison à sa fidélité au SPF Finances : « j’aime beaucoup le service public et l’intérêt général. Tous les millions d’euros qu’on dépense appartiennent aux contribuables. L’argent de nos impôts. Je mets un point d’honneur à ne jamais jeter cet argent par les fenêtres. C’est pour ça que pendant la crise énergétique mondiale, suite à la guerre en Ukraine, nous avons toujours su payer nos factures d’énergie alors qu’à certains moments elles ont été multipliées par 4, 5, 6, 7, 8. Quand il nous a manqué 18 millions d’euros nous avons, pour nous en acquitter, fait un plan énergie « Hiver », avec notamment la fermeture de la moitié de nos étages et de leur chauffage. Parfois même des tours complètes pendant plusieurs jours. »
Contraintes et lenteurs publiques
Bien sûr, notre interlocuteur est conscient des contraintes « publiques » qui peuvent ralentir, parfois énormément, son action. Comme le fait qu’au fédéral il n’est pas seul à la manœuvre dans la gestion de l’immobilier. Il y a aussi la Régie des bâtiments. « Nous, Division Logistique ne pouvons ni louer ni acheter des bâtiments. C’est la Régie des Bâtiments qui met à notre disposition ceux que l’on peut utiliser. Cela signifie que l’on n’a pas la main sur la durée des contrats de bail. » Autre chose compliquée dans le secteur public : « les règles relatives aux marchés publics. Ça prend plus de temps. Le parcours budgétaire aussi. Pour un oui ou pour un non, un dossier d’achat doit être soumis au conseil des ministres. Cela s’est même produit en 2014 pour des achats de papier toilette! Heureusement, depuis quelques temps, les achats de consommables ne font plus partie des dossiers à soumettre systématiquement au conseil des ministres en périodes d’affaires courantes. Mais tout est plus long : les procédures d’achat, les procédures de marché public, la rédaction du marché public, la publication du cahier des charges, l’attribution. Ça prend une éternité. Donc, tout doit être bien anticipé. Heureusement, avec l’aide du SPF BOSA, nous concluons beaucoup de marchés cadresqui durent 4 ans. Pour les fournitures bureaux et les achats de consommables, on ne doit pas recommencer chaque année les démarches administratives. Globalement, il faut prévoir les volumes d’achats tout en essayant de rester « carré » », assure Olivier Labie. Le Directeur Logistique dresse aussi un autre constat : « Ce qui a beaucoup évolué dans le métier facilitaire c’est la partie analyse de risques, inexistante il y a une dizaine d’années. Maintenant tout est analyse de risques ! À charge de l’employeur bien sûr. Électricité, basse tension, haute tension, qualité de l’air, incendie, impact environnemental, installations de chauffage, etc. Cela demande des expertises, des spécialisations qu’on n’avait pas, donc on forme les gens, en interne et en externe. Il y a aussi une grande évolution des gens à recruter pour les facilities, et leurs compétences »
Tout cela n’empêche pas le haut fonctionnaire quinquagénaire de nourrir un rêve, tout en doutant de sa faisabilité dans l’état actuel des choses. « La gestion facilitaire est de plus en plus évolutive tout autant que les besoins. Cela nécessite une autre vision. Le must serait d’avoir des bâtiments performants énergétiquement, avec des maintenances prédictives, des smart buildings, etc. Mais, nous sommes dans le secteur public et dépendons des décisions de la Régie des bâtiments et de budgets étriqués. Des bâtiments innovants peuvent se louer, mais à des budgets incomparables avec des bâtiments lambda corrects, comme ceux que nous occupons actuellement. Pour des smart buildings, sur Bruxelles, on est à 450 euros le mètre carré, au lieu de 250 pour des bâtiments dits classiques comme les nôtres. De toute façon, un smart building doit être pensé dès la conception, dès sa construction, car adapter un ancien bâtiment existant, ça peut se faire, mais à un coût phénoménal. Une nouvelle vision, à moyen et long terme, pourrait permettre d’envisager des bâtiments neufs et smart. Mais qui aujourd’hui peut encore penser sur le long terme ?», conclut le pilier Logistique du SPF Finances.
Auteur : Fernand Letist. Photos : Fernand Letist et SPF Finances